Le nombre nuptial dans la République de Platon

Le texte de Platon sur le nombre nuptial se trouve en le livre de la République, VIII, III; 546 :

http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/rep8.htm

Il est difficile qu’un État constitué  comme le vôtre s’altère; mais, comme tout ce qui naît est sujet à la corruption, ce système de gouvernement ne durera pas toujours, mais il se dissoudra, et voici comment. Il y a, non seulement pour les plantes enracinées dans la terre, mais encore pour les animaux qui vivent à sa surface, des retours de fécondité ou de stérilité qui affectent l’âme et le corps. Ces retours se produisent lorsque les révolutions périodiques ferment les circonférences des cercles de chaque espèce, circonférences courtes pour celles qui ont la vie courte, longues pour celles qui ont la vie longue . Or, quelque habiles que soient les  chefs de la cité que vous avez élevés, ils n’en obtiendront pas mieux, par le calcul joint à l’expérience, que les générations soient bonnes ou n’aient pas lieu; ces choses leur échapperont, et ils engendreront des enfants quand il ne le faudrait pas. Pour les générations divines il y a une période qu’embrasse un nombre parfait; pour celles des hommes, au contraire, c’est le premier nombre  dans lequel les produits des racines par les carrés – comprenant trois distances et quatre limites – des éléments qui font le semblable et le dissemblable, le croissant et le décroissant, établissent entre toutes choses des rapports rationnels. Le fond épitrite de ces éléments, accouplé au nombre cinq, et multiplié trois fois donne deux harmonies : l’une exprimée par un carré dont le côté est multiple de cent, l’autre par un rectangle construit d’une part sur cent carrés des diagonales rationnelles de cinq, diminués chacun d’une unité, ou des diagonales irrationnelles, diminués de deux unités, et, d’autre part, sur cent cubes de trois. C’est ce nombre géométrique tout entier qui commande aux bonnes et aux mauvaises naissances , et quand vos gardiens, ne le connaissant pas, uniront jeunes filles et jeunes gens à contretemps, les enfants qui naîtront de ces mariages ne seront favorisés ni de la nature, ni de la fortune. Leurs prédécesseurs mettront les meilleurs d’entre eux à la tête de l’État; mais comme ils en sont indignes, à peine parvenus aux charges de leurs pères, ils commenceront de nous négliger, quoique gardiens, n’estimant pas comme il conviendrait d’abord la musique, ensuite la gymnastique. Ainsi vous aurez une génération nouvelle moins cultivée. De là sortiront des chefs peu propres à veiller sur l’État, et ne sachant discerner ni les races d’Hésiode, ni vos races d’or, d’argent, d’airain et de fer. Le fer venant donc à se mêler avec l’argent, et l’airain avec l’or, il résultera de ces mélanges un défaut de convenance, de régularité et d’harmonie – défaut qui, partout où il se rencontre, engendre toujours la guerre et la haine. Telle est l’origine qu’il faut assigner à la discorde, en quelque lieu qu’elle se déclare.
Nous reconnaîtrons, dit-il, que les Muses ont bien répondu.
Nécessairement, observai-je, puisqu’elles sont des Muses.”

Selon la plupart des interprétations, notamment celle de l’abbé Diès, ce nombre serait

12 960 000

selon Dom Neroman, il est constitué par le nombre 3000 (qui donne lieu à une roue arithmologique car 3001 est un nombre premier) et ses isotimes modulo 61, qui vont de 11 à 64000

voir ici :

http://remacle.org/bloodwolf/erudits/aristidequintilien/musique.htm

le passage du traité de la musique d’Aristide Quintilien relatif au nombre nuptial

selon ce livre de Dupuis : “le nombre géométrique de Platon” :

http://www.archive.org/stream/lenombregomtriq01dupugoog#page/n43/mode/2up

ce serait 76 myriades = 19 x 4 x 10000

ce blog :

http://lamassenie.over-blog.com/15-categorie-10203163.html

confirme que le nombre nuptial est bien 11 selon “la recherche secrète” (lire “La connaissance”)

seulement il faut rajouter tous les isotimes de 11 modulo 61 jusqu’à 64000 :

11 + 61 x k

dont 3000.

Les travaux de Dom Neroman (ingénieur des Mines, spécialiste des nombres du point de vue du pythagorisme) s’inspirent de ses découvertes sur ce qu’il appelle les “roues arithmologiques”, qui ne sont autre que les groupes multiplicatifs cycliques modulo p, où p est un nombre premier quelconque (supérieur ou égal à 5 sinon les “roues” obtenues sont triviales); on montre alors qu’il existe des racines primitives :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Racine_primitive_modulo_n

qui ne sont autres que des générateurs de ces groupes cycliques multiplicatifs, une roue pour un nombre premier p comportera donc (p-1) cases, qui pourront s’écrire comme (r étant une racine primitive modulo p) :

1, r, r^2 = r x r, etc… , r^(p-2), 1, r, etc…

puisque r^(p-1) est égal à 1 modulo p selon le “petit” théorème de Fermat

dans la roue ci dessus on prend la valeur modulo p, c’est à dire le reste dans la division par p des nombres : r, r x r

exemple pour p = 5 et r = 3 :

1, 1x 3 = 3, 3x 3 = 9 = 4 modulo 5 (les reste dans la division de 9 par 5 est 4)

et on continue en multipliant à chaque fois par la racine primitive 3

4 x 3 = 12 = 2 modulo 5 (les reste dans la division de 12 par 5 est 2) puis 2 x 3 = 6 = 1 modulo 5

on obtient donc la Roue :

1 , 3, 4 , 2, 1, 3, etc…

Les deux racines primitives sont 2 et 3, ce qui donnent deux “roues” en sens inverse

1 , 3 , 4, 2 , 1

et

1 , 2 , 4 , 3 , 1

que penser de ces travaux de Dom Neroman exposés dans son livre (épuisé) “Le nombre nuptial” ?

Il donne des arguments assez probants pour “interpréter” le texte sybillin de Platon dans ce sens des roues cycliques, et notamment de celles associées au nombre premier 3001.

Mais il ne s’agit encore que d’une interprétation, et d’autres commentateurs, comme ceux cités plus haut, interprètent le texte tout différemment, et eux aussi avec de solides arguments.

Comme cela serait encore plus clair si Platon s’était exprimé à la façon d’un traité de théorie des nombres modernes, en expliquant clairement, si du moins l’interprétation de Dom Neroman est la bonne, la mathématique des racines primitives modulo un nombre premier.

On tombe là sur le diagnostic de Brunschvicg dans le chapitre XIII de “L’expérience humaine et la causalité physique”, chapitre portant sur l’échec du mathématisme platonicien, mais aussi dès l’introduction au “Progrès de la conscience dans la philosophie occidentale” :

http://classiques.uqac.ca/classiques/brunschvicg_leon/progres_conscience_t1/progres_conscience_t1.html

Ces observations contiennent le secret de l’histoire du pythagorisme. L’homo sapiens, vainqueur de l’homo faber, y est vaincu par l’homo credulus. Grâce aux démonstrations irréprochables de l’arithmétique pythagoricienne, l’humanité a compris qu’elle possédait la capacité de se certifier à elle-même, non pas des vérités qui seraient relatives au caractère de la race ou du climat, subordonnées au crédit des magiciens ou des prêtres, à l’autorité des chefs politiques ou des pédagogues, mais la vérité, nécessairement et universellement vraie. Elle s’est donnée alors à elle-même la promesse d’une rénovation totale dans l’ordre des valeurs morales et religieuses. Or, soit que l’homo sapiens du pythagorisme ait trop présumé de sa force naissante, dans la lutte contre le respect superstitieux du passé, soit qu’il n’ait même pas réussi à engager le combat, on ne saurait douter que le succès de l’arithmétique positive ait, en fin de compte, servi d’argument pour consolider, pour revivifier, à l’aide d’analogies mystérieuses et fantaisistes, les propriétés surnaturelles que l’imagination primitive associe aux combinaisons numériques. La raison, impatiente de déployer en pleine lumière sa vertu intrinsèque et son efficacité, s’est heurtée à ce qui apparaît du dehors comme la révélation d’une Parole Sacrée, témoin « le fameux serment des Pythagoriciens : « Non, je le jure par Celui qui a révélé à notre âme la tétractys (c’est-à-dire le schème décadique formé par la série des quatre premiers nombres) qui a en elle la source et la racine de l’éternelle nature… » Le caractère mystique du Pythagorisme (ajoute M. Robin) se révèle encore par d’autres indices : c’est caché par un rideau, que le Maître parle aux novices, et le fameux : Il l’a dit (αὐτὸς ἔφα) ne signifie pas seulement que sa parole doit être aveuglément crue, mais aussi que son nom sacré ne doit pas être profané » 

Le fameux “Il l’a dit” se retrouve en notre époque dans la vénération crédule de la plupart des anthroposophes pour les “découvertes” de l’Investigateur spirituel, Rudolf Steiner, fanatisme finement analysé par José Dupré dans son livre de 2004 :

“Rudolf Steiner, l’anthroposophie et la liberté”

Voir aussi cet article sur l’origine babylonienne du nombre nuptial:

Barton : babylonian origin of Plato’s nuptial number